« Rigodon »
Louis-Ferdinand Céline
Édition Poche
Ebauchée
dans « Nord »», poursuivie dans « Un Château
L’Autre », « Rigodon » conclut la trilogie du voyage au bout
de la guerre entreprise par Céline, sa femme « Lili », le chat
« Bébert » et le comédien Le Vigan. L’Allemagne en flamme constitue
un théâtre pathétique, rendu fantastique et indicible par la littérature célinienne. Leur fuite est à l’image de la fin de la deuxième guerre mondiale,
au cœur du Régime Nazi, en déliquescence, maculé de Chaos, d’amertume qu’un
jusqu’au-boutisme consacre au roman le réalisme de la destruction. Ce fléau, la
fin du nazisme dans le berceau de son ignominie, coincé par l’armée alliée à l’ouest et l’Armée
Rouge à l’est, consume la Wehrmacht et les autorités allemandes dans leur
déroute n’ajoutant qu’au désespoir des exactions au prix de sacrifices humains.
Céline
exulte dans son nihilisme récurent au milieu du pilonnage des bombes, la
confusion quotidienne des villes ruinées, la dispersion des foules, le désarroi
des réfugiés encore abusés par l’autoritarisme des nazis toujours ostentatoire
et agressif. Ajoutons au désordre d’un pays en loque, l’idée que les opportunistes
se font de tirer le meilleur de ces circonstances tragiques en dépit de la
débâcle humaine.
Le Rigodon
est une danse à deux temps, chacun à sa mesure et son espace, sur place sans
avancer ni reculer, ni de côté. Il résume à lui seul le rythme hoquetant du
couple Céline dont l’écrivain tire le jus le plus ironique et même
humoristique. Dans cette arythmie parfois brutale, Rigodon évoque de Rostock à
la Baltique, d’Ulm à Hambourg, Flensburg puis Copenhague Danemark, une épopée
burlesque mais cauchemardesque : Le voyageur boulet « Le Vigan »
les quitte, impromptu, à la gare d’Hambourg pour disparaître de la saga,
éberlué, hagard dans la foule compacte de réfugiés.Les Céline occupent des
trains bondés de voyageurs triés sur le volet d’une façon arbitraire et urgente,
aux conséquences de la petite corruption quotidienne dont chacun s’applique à
être le plus assidu sur l’autre. Rocambolesque, Céline embarque en train,
débarque, marche, clopine, sur les ballastes, dans les gares hantées par la
panique. Avec son brassard improbable de la Croix rouge dont il use quand il
faut depuis le départ de sa fuite à Sartrouville, il trouve l’aide d’un
officier allemand, d’un conducteur de train contre rémunération, d’une
éducatrice d’enfants handicapés atteinte de maladie pulmonaire qui abandonnera
ses chérubins. Céline rencontre le criminel Restif qui n’est autre que l’assassin
« Filliol », homme de main de « la Cagoule », organisme
clandestin français qui servit les intérêts de Vichy et de la Milice. Dans les
décombres et les bombes, les protagonistes de l’écrivain semblent des fantômes
saugrenues dans la réalité de la guerre et la fin d’un règne. Le style
l’emporte, millimétré de formules tirées au cordeau, musicales comme une prose
dévergondée lorsqu’il décrit l’horreur d’un charnier ou les flammes
flamboyantes des ruines qui croustillent, qui colorent et sacralisent un
univers ubuesque. Pamphlétaire populaire et expéditif, l’auteur le demeure sans
retenue contre ceux qui le recherchent, contre son éditeur, contre Sartre et
bien d’autres qui ont reconnu en lui, le génial créateur du « Voyage au
bout de la nuit » et l’antisémite de mauvaise foi qui n’en peut plus de
faire du style pour se racheter. Mais Copenhague arrive au bout du roman, le
calme plat d’une ville en paix surprend. Fin d’une aventure qui se ponctue pour
l’écrivain avec deux ans d’incarcération puis retour en France, son procès, son
acquittement que ses pourfendeurs lui feront payés jusqu’à sa mort.
Un livre
donc, à lire ou à relire «Rigodon» de Louis-Ferdinand Céline, recommandé par
l’Echolatain.
Et pour retrouver les précédentes chroniques, cliquez sur le libellé, Histoire d'en lire.
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