« Pour
que tu ne te perdes pas dans le Quartier »
Patrick
Modiano Prix Nobel de littérature 2014
Editions
Gallimard
Jean
Daragane fut le locataire d’une maison bourgeoise dans la proche
banlieue de Paris, à Saint-Leu-la-Forêt. Mais un temps long comme
un siècle le sépare de son enfance des années 50 à 2010.Le temps
s’écoule, les faits apparaissent plus comme des éléments
confidentiels que des preuves confirmant l’acheminement de son
existence. Le mystère épaissit ses incertitudes quand, confronté à
ses réminiscences, Daragane est tenu d’assumer un passé qu’il
dénia tout au long de sa vie. Ecrivain sexagénaire, solitaire, loin
du temps médiatique, il est décalé des problèmes de société
dont sa profession se nourrit pour produire des œuvres. Son
téléphone ne sonne guère, sa plume chôme délicieusement, lit à
s’abandonner « l’Histoire Naturel de Buffon » bercé
par l’éloquence et la candeur du style naturaliste des Lumières.
Il
reçoit le coup de fil d’un certain Gilles Ottolini qui souhaite
lui remettre son carnet d’adresses perdu le mois précédent. Sa
mémoire remonte confusément jusqu’au nom d’un homme totalement
disparu de son univers, Guy Torstel. Ottolini, à la recherche de cet
homme, fait l’effet d’être un maître chanteur, l’écrivain
prend la fuite. Néanmoins, les réminiscences s’infusent en lui
comme « une Piqûre d’insecte qui vous semble très légère.
Du moins c’est ce que vous dites à voix basses pour vous
rassurer ». La mémoire le conduit vers l’enfance puis
l’adolescence et sa rencontre avec le personnage principal « Annie
Astrand ». Un dossier détaillé des faits rédigé à la
machine à écrire lui est remis. Mais par la prise de notes
anarchique, la rédaction impulsive, sa mise en page chaotique,
l’histoire se noie entre les lignes du passé et celles mal
ficelées de la vérité. Par dénie, Daragane laisse ce palimpseste
et abandonne l’enquête.
Il
remet la main sur son premier roman « Noir de l’été »,
avec des éléments de son premier chapitre qui n’ont pas été
édités mais préfigurent comme l’aboutissement à ses recherches:
Annie Astrand fut sa mère de substitution. Elle assure son
existence, son éducation, dans un milieu interlope où tout n’est
que dévoiement. A-t-il été enlevé ? Est-elle une comédienne
ou une prostituée qui vit avec son souteneur ? Pourquoi
a-t-elle été inquiétée par la police au point de disparaitre ?
La mémoire de Daragane ne trouve sa résurgence que dans le manque
propagé par le souvenir. Il esquive, de peur de voir surgir le
chagrin.
Patrick
Modiano prend la main et projette Daragane des dizaines d’années
plus tôt, à l’heure ou ses investigations sur sa vie le
poussaient à la création de son premier roman. Daragane a environ
vingt ans lorsqu’il écrit ce livre comme un appel à témoin
« dans l'espoir qu'elle (Annie Astrand) lui fasse signe. Écrire
un livre, c'était aussi, pour lui, lancer des appels de phare ou des
signaux de morse». Il retrouve un chapelet de témoins, dont un
médecin. Clef de voûte des raisons de sa vie, le médecin lui donne
les éléments suffisants pour prendre conscience de son abandon
enfant par Annie Astrand, une belle nuit, au son d’une voiture qui
s’éloigne mesquine.
L’auteur
est malin. Son style littéraire nous laisse dans l’embarras.
Laconique, suspendu autour des éléments essentiels de l’existence
de Jean Daragane, son histoire, ses éléments sociologiques, le
style vide totalement son environnement de réalités pour exister
afin de structurer l’intrigue et de conduire rationnellement son
investigation. Modiano n’en a cure. On ne sait pas pourquoi Jean a
été abandonné, encore moins l’existence de cette mère de
substitution, ses relations troubles avec les milieux interlopes dont
l’auteur subodore l’existence. Patrick Modiano reste à la
surface des choses, éphémère, fait mine d’être perdue dans les
questions de la vérité entre le dénie de la connaître et celui
d’en assumer ses conséquences. En cela, le roman est une superbe
réussite.
Yves Toussaint
Un
livre à lire, « Pour que tu ne te perdes pas dans le
quartier » de Patrick Modiano Prix Nobel de Littérature 2014,
recommandé par l’Echolatain.
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