Messe de la nuit.
Fêter Noël… Fêter, une fois de plus, Noël.
Cela
pourrait se réduire, au fond, rien qu’à une occasion comme tant
d’autres, un prétexte pour profiter d’un engouement, d’une exaltation
collective… Ou bien… serait-ce pour nous quelque chose de radicalement
différent ? Essayons de nous demander quel est, pour chacun de nous,
ici, le sens de cette fête, au delà des idées reçues et des clichés que
nous devons, bon gré mal gré, avaler.
Fêter,
en chrétien, la naissance de Jésus, renvoie chacun de nous à une prise
de conscience authentique et, me semble-t-il, nous demande un réel
engagement personnel.
Voilà ce qu’un prêtre que je connais écrivait récemment : « arrêtons de répéter que nous entrons dans la magie de Noël » ! Cela voudrait dire que nous acceptons d’ouvrir une parenthèse dans la grisaille, pour entrer, plus ou moins consciemment, dans ce petit jeu qui veut (qui veut !)
oublier (le temps d’une trêve) les misères et les cruautés du monde :
les enfants consciemment massacrés, les malheurs des camps des réfugiés,
les morts en mer dans les traversées du désespoir, peut-être le chagrin
de notre voisin de pallier… Ces oublis, font-ils partie de la MAGIE en
question ? On dirait que dans cette fameuse magie, que l’on ne cesse pas de nous
souffler à l’oreille, tous ces évènements tragiques, bien réels
pourtant, disparaissent enfin, comme enfermées (pour un temps très
court, forcement) dans un placard imaginaire.
N’oublions pas que Noël est la fête, justement, de l’Incarnation
du Dieu qui se fait homme pour nous sauver, pour nous ouvrir les yeux
et pour changer nos regards. C’est curieux : dans cette histoire de « Magie » nous aurions tendance à en faire le jour d’une « désincarnation » de masse, un jour de l’oubli concerté ; un jour où, « s’il vous plait, au moins aujourd’hui, il faut nous laisser tranquilles pour naviguer dans nos beaux rêves d’enfance ! Laissez-nous souffler ! ».
Et mon ami prêtre, têtu, de conclure : « Non, Noël ce n’est pas magique ! c’est laborieux ! ».
Je pense qu’il veut dire, par là, contrairement à ce que la publicité
et la consommation forcenée nous claironne de toute part, que la fête de
l’Incarnation de Dieu en Jésus nous propose toute autre chose que
l’oubli et le désengagement ; au contraire, au contraire… ! C’est un
jour où nous sommes invités à ne pas oublier.
Parfois, ce sont les enfants qui nous ouvrent les yeux, qui nous étonnent et qui nous donnent de belles leçons de vie.
A
ce propos, j’ai trouvé un témoignage délicieux de Mère Térésa de
Calcutta. Je suis tombé, sur une petite feuille jaunie, perdue quelque
part dans mes vieux papiers. C’était bien mon écriture, mais je n’aurais
pu dire quand j’avais transcrit cette anecdote. J’en ai déduit que ces
quelques lignes je les avais mises de côté il y a bien d’années,
peut-être lorsque Mère Térésa était encore vivante. Je vous lis ce bref
témoignage. C’est elle, Mère Térésa, qui parle:
« Nous voulions organiser une représentation théâtrale avec des enfants pauvres du quartier sur le thème de Noël.
L’enfant choisi pour faire l’aubergiste ne voulait pas entrer dans son rôle. Tout ça lui semblait injuste : dire NON à la demande de deux pauvres ? Ce ne fut pas facile de le convaincre qu’il s’agissait d’un théâtre. Enfin il accepta.
Quand, en scène, il s’agit de répondre à saint Joseph qu’à l’auberge il n’y avait pas de place, l’enfant, habillé en aubergiste, hésita et ne put se passer d’ajouter : « … mais … si vous voulez… entrer, pour boire quelque chose… ».
Formidable !
Par cette entorse arrachée au texte, l’enfant montrait d’avoir tout
compris. Dans sa logique naïve et saine qui lui interdisait de séparer
son identité de pauvre et le rôle qu’on lui demandait de jouer (tout en
se retrouvant -malheureusement- du mauvais côté), il ne put se résigner à
ce refus inhumain et il se sentit obligé, au moins, de l’atténuer : « si… vous voulez… entrer pour boire quelque chose…».
Nous
poursuivons notre eucharistie (qui est le corps et le sang du Christ
accueilli et partagé entre frères et sœurs, le même Christ qui, Parole
de Dieu, s’est fait homme pour nous sauver) ; nous la poursuivons sans oublier ces simples paroles de l’enfant de Mère Térésa.
Cela ne nous interdit pas de fêter aujourd’hui
Noël et de partager notre joie. Au contraire ! A chacun de vous,
frères, sœurs, les plus petits, jeunes et moins jeunes, de transposer
les paroles et le souci de l’enfant dans vos quotidiens, dans vos
familles, dans vos milieux de vie.
Cette nuit, nous sommes tous invités à entrer et à nous assoir à la Table de Dieu.
Messe de l'aurore.
« Au commencement était le VERBE »
Face à un énoncé de ce genre, nous avons un peu raison de rester interloqués. De quel commencement et de quel Verbe s’agit-il ? Que pouvons-nous en dire ? Cela demande plus d’une explication. Il est vrai que ce mot : « Verbe », traduction possible du terme grec : « LÒGOS » calqué sur « Verbum » latin, pourrait être rendu en bien d’autres manières. Par Raison, ou Sagesse, ou Discours ; ou bien, par des périphrases plus élaborés, comme : « la pensée de Dieu », ou « le mystère de la volonté divine »…
Mais, au fond, cela ne changerait pas grande chose pour notre problème, n’est-ce pas ? La vraie difficulté resterait.
Tout ça,
nous est raconté un matin d’hiver, submergés que nous sommes –
peut-être – par nos difficultés très, très concrètes, hélas, qui pèsent
sur nous de tout leur poids…
Alors à quelle méditation peut nous éveiller cet énoncé solennel : « Au Commencement était le Verbe » ?
Le
prêtre (moine dans ce cas) vient de nous lire ce texte énigmatique
(osons le dire) au milieu d’une fumée d’encens, encadré par le chant
(vigoureux, c’est vrai) de notre assemblée… Tout est si beau… Mais quel
lien pouvons-nous tisser entre cette Parole et nos quotidiens prosaïques ?
Je vous
adresse une question : Pourquoi sommes-nous ici, ce matin de Noël ?
J’essaye de répondre avec vous : Nous sommes là parce que (peut-être de
manière confuse) nous demandons d’en savoir davantage sur notre vie.
Peut-être, voudrions-nous savoir pourquoi nous ne trouvons pas de vraies
réponses à nos questions les plus pressantes, celles que, un jour ou
l’autre, nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Peut-être,
cherchons-nous ici des explications qui ne viennent pas. Nous ne
trouvons pas la clé pour ouvrir une porte ou des portes intolérablement
fermées. Nous avons besoin d’un éclairage pour pouvoir avancer au milieu
des ombres, parfois très épaisses, qui habitent nos existences.
Et bien,
l’Evangile, cette page de l’Evangile de saint Jean nous propose, dans
son langage particulier, des éléments de réponse à nos doutes et à nos
questionnements. Je dis bien : des éléments
de réponse et non pas une solution capable de s’imposer. En effet, pour
mieux saisir de l’intérieur le poids de notre quotidien, une clé
d’entrée nous est donnée : le « VERBE ». Et ce « Verbe » n’est pas une abstraction mais une personne.
Voilà la réponse offerte par cet évangile du prologue de Saint Jean. Si
paradoxal (voire scandaleux) que cela puisse sembler, Dieu a enfin
parlé non pas par des intermédiaires, mais par son Fils, qui, nous dit
l’évangile, a voulu rejoindre, partager pleinement notre condition
humaine, la vôtre et la mienne, de cette manière surprenante et unique :
en se faisant l’un de nous. Et pas de la manière la plus facile :
l’immensité de Dieu se fait enfant tout petit qui repose dans une mangeoire d’animaux. Dès le début, il n’a pas été accueilli :
- « Pas de place pour toi chez nous ! ».
C’est ainsi que l’Évangile s’exprime : « Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas reconnu ».
Ça commence mal. Mais à tous ceux qui l’ont accueilli (donc nous pouvons être parmi ceux qui veulent l’accueillir), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
Voilà un EVANGILE, dans le sens propre du terme : une bonne nouvelle
pour chacun de nous. Dieu a voulu nous rejoindre dans notre humanité,
partager avec nous l’existence, se mettre à notre niveau : aujourd’hui
Dieu se fait homme pour nous donner la VIE. « En lui était la vie. Et la vie était la lumière des hommes ».
À propos de VIE, je vous raconte, pour conclure, une anecdote relatée par le dernier livre de Christiane Singer.
Dans le
plus noir de la guerre, en 1943, les parents de Christiane, juifs,
persécutés, manquent de tout le nécessaire. Sa maman est enceinte et
cette grossesse, dans ces conditions-là, vire au cauchemar : leur vie
est plus que difficile. Une décision extrême s’impose: la femme devra
avorter. Voilà donc le couple dans la salle d’attente d’un médecin en
vue de se soumettre à l’avortement. Ils attendent. A un certain moment
le mari prend la main de son épouse et lui dit : « Ce n’est pas à nous de faire l’œuvre de l’ennemi. Partons ! ».
Et Christiane Singer de conclure : « et me voilà ! ». Ses parents, pour elle, ont choisi la VIE. En
ce jour de la fête de la naissance de Jésus, puissions-nous dire ou
redire, dans les décisions petites ou grandes de nos existences : « non » à l’intolérance à la dureté, à l’entêtement ; « oui » à la douceur et à la Vie.
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