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Le premier élément crucial pour eux et pour moi aura été la vérité sur la situation du pays, la prise en compte de la réalité des faits.
Je ne crois nullement que la crise financière soit derrière nous. Je pense au contraire que la crise est devant nous, et qu’elle sera très dure. Je pense que les déficits, commerciaux et budgétaires, qui s’accumulent pour notre pays menacent à court terme notre modèle social et que la multiplication des promesses non financées aggravera encore ce risque.
Et parce que nous allons vivre ces moments difficiles, l’attitude personnelle des gouvernants comptera beaucoup. C’est une question de valeurs, personnelles autant que politiques. Depuis des années, c’est la violence des attitudes et des mots, la guerre d’un camp contre l’autre, la complaisance à l’égard des extrêmes qui caractérisent notre pays. Le refus de la violence perpétuelle dans la vie politique, les valeurs de respect des sensibilités différentes, la reconnaissance du pluralisme, la recherche de l’équilibre, sont la condition nécessaire à l’esprit d’unité nationale dont nous aurons besoin face à la crise.
C’est ainsi, et seulement ainsi, par la vérité et l’unité que la France pourra regarder en face les conditions de son redressement. Et d’abord de son redressement financier. Or la recherche de l’équilibre des finances publiques n’est obtenue dans vos deux projets que par l’affichage d’une croissance impossible à court terme. Je vous demande instamment de réfléchir à ce péril et d’envisager des mesures crédibles pour l’écarter s’il est encore temps.
Pour moi, la décision constitutionnelle, inscrite dans le traité européen, de renoncer pour l’avenir aux facilités du déficit, du moins en période de croissance, la « règle d’or », doit s’imposer à tous les pays qui ont l’euro en partage. Non pas pour faire plaisir aux « marchés », ou à « Bruxelles », mais parce que c’est le seul moyen d’éviter pour la France et les Français, particulièrement pour les plus fragiles, la catastrophe sociale qui s’annonce.
La France s’est construite depuis la guerre autour du modèle social né du Conseil National de la Résistance. Nous y tenons, non pas comme à une tradition, mais comme à notre principale aspiration nationale. Nous le regardons non pas comme notre passé, mais comme notre avenir. Nous savons qu’il devra se réformer, mais dans la justice et la solidarité. Or c’est dans le concret de la vie de tous les jours que justice et solidarité risquent d’être menacées.
La sauvegarde de notre modèle social et de services publics impose de restaurer et de développer fortement notre appareil de production. La France est, Grande-Bretagne exceptée, le seul des grands pays européens qui connaisse l’effondrement de son commerce extérieur. Ce n’est pas viable. Pourtant, nous avons d’immenses marges de progression, et donc de création d’emplois durables, de ressources pour les familles.
C’est là que va se gagner ou se perdre le combat de notre avenir national, en particulier dans la recherche de stratégies nationales de production, filière par filière. Une évolution de la démocratie sociale dans l’entreprise est aussi un élément crucial de ce redressement. La représentation des salariés, avec droit de vote, au conseil d’administration des grandes entreprises, sera un signe déterminant en ce sens.
La crise de l’éducation en France est un enjeu du même ordre. La situation de l’école, notamment à l’école primaire et au collège, ne peut être acceptée. Des centaines de milliers d’enfants voient leur avenir barré faute de se voir garantir les acquis nécessaires, maîtrise de l’écrit, du chiffre, de la langue. Faute de consacrer à ces fondamentaux le temps scolaire indispensable, les inégalités sociales se perpétuent et s’aggravent dans cet échec. Ce combat national oblige à un nouveau contrat entre l’école et la nation, qui touchera à la question des pratiques, de l’organisation, du développement de l'alternance et de l’apprentissage, aussi bien que des moyens.
La moralisation de la vie publique, le changement des pratiques du monde politique représentent une attente des citoyens dont vous ne pouvez ignorer la gravité. L’interdiction du cumul des mandats pour les députés, la diminution du nombre des parlementaires, le renforcement de la parité hommes femmes, le changement de loi électorale pour assurer la représentation des grands courants d’opinion, en tout cas de ceux qui atteignent 5 % des suffrages, à l’Assemblée nationale, au sens le plus large la garantie du pluralisme, la consécration de l’indépendance de la justice, le renforcement de l’indépendance des médias, l’assainissement du financement de la vie politique, la lutte contre la corruption et la prise illégale d’intérêts, tout cela est urgent. Les deux partis que vous représentez ont souvent pris des engagements, mais jamais ils ne sont allés plus loin. Je crois que cette moralisation est vitale pour que la confiance revienne entre citoyens et élus. Seule la voie référendaire permettra de les imposer à un monde politique qui n’a guère envie de voir changer les règles d’un jeu qui lui convient.
L’Europe a été durement attaquée pendant cette campagne. On lui a fait porter tour à tour la responsabilité de l’immigration et celle de l’absence de croissance. Je veux vous dire que pour nous, il est impossible d’envisager notre avenir national sans projet européen. L’Europe n’est pas seulement notre horizon : le jour où elle existera vraiment, elle sera notre seule arme politique et économique efficace dans la tourmente mondiale. L’Europe souffre aujourd’hui d’absence de gouvernance, de transparence et de lisibilité. Ce n’est pas avec moins d’Europe que la France s’en sortira ! C’est avec une Europe plus forte, plus solidaire, plus lisible, donc plus communautaire. Dans cette perspective, les renforcements de la zone euro, comme de l'espace Schengen, sont une étape prioritaire.
Des millions de Français partagent ces valeurs et ces préoccupations. Ils seront, je n’en doute pas, attentifs aux orientations qui seront les vôtres sur ces questions durant la campagne du deuxième tour.
Je vous prie de croire à l’assurance de mes sentiments cordiaux."
En 2007, voter pour François Bayrou n'avait pas interdit ma contribution à la victoire de Nicolas Sarkozy. Cette année, François Bayrou, au contraire, constituera un barrage contre tout ce que ce quinquennat a mis en évidence. Pour la personnalité présidentielle, les démarches erratiques et désordonnées d'une politique devenue illisible à force de subjectivité et d'obsession de provoquer et, enfin, une pratique de l'Etat si peu irréprochable, tellement vulgaire. Le président a façonné une République dont, dans ses profondeurs, la communauté nationale n'a pas été fière, pas davantage, d'ailleurs, que de lui-même.
François Bayrou, parce qu'il a eu raison trop tôt, devrait payer le prix qui menace les Cassandre condamnées à répéter le constat du pire et à déplorer la faiblesse de la riposte morale, politique, économique et financière. Depuis plus de cinq ans et dès le commencement de ce mandat, il a dénoncé le poids immense, étouffant, de la dette, la gravité des déficits, le lent mais réversible déclin du commerce extérieur, les scandaleuses transgressions de la morale publique, il a rappelé qu'un "enfant barbare" cassant, au nom du bon plaisir, choses, êtres et principes autour de lui ne saurait être réélu.
Pour ne prendre qu'un exemple, quand beaucoup se taisaient, il n'a cessé de porter haut la révolte à la fois de l'honneur et de la saine gestion contre cet indigne arbitrage dit Tapie-Lagarde.
On comprendra aisément que ces exigences et cette lucidité, dont il n'a pas dévié d'un pouce, auraient déjà été suffisantes pour justifier ma fidélité à cette personnalité, le premier tour étant celui du choix affectif quand le second relèvera de l'exclusion nécessaire. Sur le fond, je suis d'autant plus enclin à apprécier ce qui structure le projet de François Bayrou que sur des points essentiels la campagne a permis à certains de ses adversaires de s'approprier des thèmes qu'initialement ils avaient négligés. Il me suffit d'évoquer le "produire en France" ou le référendum sur la moralisation de la vie publique.
Il y a plus. Je ne peux pas m'empêcher de tenir pour infiniment estimable un homme souvent moqué, prétendument seul, sans les facilités de certains, qui s'est tenu pourtant droit durant ces cinq dernières années quand tant, à gauche par sectarisme ou à droite par servilité, ont failli. Contre les accommodements, il n'a pas fléchi. Contre les centrismes de façade réfugiés sous l'aile d'une droite de moins en moins honorable, de plus en plus démagogique, il a promu le seul qui vaille : celui qui ne se soumet pas. On n'a jamais pu le prendre en flagrant délit d'indécence. Il a veillé à sa place et à sa manière pour sauver, dans une opposition intelligente, ce qui pouvait encore l'être.
Comme j'espère être un homme libre, que plus rien ne m'oblige à une quelconque réserve depuis le mois d'octobre 2011 mais que je n'ai pas l'âme d'un militant se forçant à croire au miracle, j'attends qu'entre les deux tours un choix clair et décisif soit opéré. François Bayrou, flatté, courtisé, ne sera jamais le fourrier (personne préparant la survenue d'événements fâcheux) de la réélection de Nicolas Sarkozy. On ne dénonce pas un quinquennat en ouvrant la voie pour un autre destiné à lui ressembler comme deux gouttes d'infortune.