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mercredi 4 mars 2015
« L’Antichambre »

De Jean-Claude BRISVILLE.

Édition BABEL

  Photographie glanée, Danièle Lebrun (Marie du Deffant) et Jean-Claude Bouillon (Le Président Hénault) 


Boudoirs, appartements privés et antichambres, ont toujours été des lieux où l’histoire s’est élevée. L’intimité est à chaque fois choisie pour donner un sens introspectif à l’histoire. Les faits anodins d’une relation au gré d’un quotidien examiné à la loupe, parviennent à hisser les secrets d’alcôves au rang des grands dénouements de sociétés. L’observation intérieure dissèque idées et principes quand, une fois dépassés, les intrigues conduisent à l’abandon de l’ancien monde pour le nouveau. L’auteur Jean-Claude Brisville est coutumier du fait : après « Le souper » et « L’entretien avec Monsieur Descartes », le classicisme d’une époque se livre une fois de plus à la bataille des anciens contre les modernes dans la pièce « l’Antichambre ».

En 1750, à Paris, à l’aune de la Révolution, Madame du Deffant reçoit quotidiennement les têtes d’affiches de l’époque des « Lumières ». La monarchie de l’Ancien Régime perpétue une vieille tradition, conduite par des femmes de la noblesse tenant de mains de maître de prestigieux salons d’où fréquentent des personnages influents, en mal de notoriété. Ici, Marie du Deffant et son ami le Président Hénault reçoivent les philosophes de leur temps, Voltaire, D'Alembert, Diderot, portés par le souffle d’idées nouvelles. Marie, de retour à Paris, revient de la campagne suivie de sa « bâtarde » de nièce, Julie de Lespinasse, détournée d’une existence monacale et destinée au statut de liseuse sous prétexte de la vue déclinante de sa tante. La confrontation de l’existence austère de Julie aux idées libérales de la société des « Lumières », pousse la jeune femme à détrôner son ainée des rênes du Salon. Pour Marie, être éclairée par les nouvelles idées de son temps est juste une satisfaction intellectuelle, privilège de la classe dirigeante. Pour autant, lorsque la connaissance se veut universelle, elle émancipe et constitue une opposition tenace au conservatisme brutal de la monarchie.

Chez Marie du Deffant, les philosophes libèrent Julie qui prend en main sa destinée et celle du salon. Les échanges, jusque-là précieux et raffinés, entre la vielle garde monarchique et l’ambition d’émancipation de la jeune femme, laissent place aux invectives acérées. Aucun répit n’est permit, les personnages s’affrontent et confrontent leurs idées ; l’une aux valeurs traditionnelles caparaçonnées par le joug de l’ordre naturel du monde, l’autre par la libéralisation des esprits et du corps que constitue l’accès à la connaissance. Marie la savante, souhaite un monde qui conserve et distribue le savoir à la classe dominante ; Julie la libérale, désire un monde libre où l’on enseigne le droit de savoir, de dire et de penser pour tous. Forcenées, aucune rémission n’est possible quand la jalousie de Marie envers sa jeune et pétillante nièce prend le dessus. L’influence de Julie envers les illustres invités du salon gagne du terrain lorsque le Président Henault, seul arbitre de la joute, prend parti pour la jeune femme en la demandant en mariage. La coupe est pleine pour Marie du Deffant qui, déchue de son trône, laissera définitivement sa place ; la Révolution est en marche.

Le texte, littérairement de qualité, est tiré au cordeau, ciselé. Il fait vivre par l’orgueil le besoin d’exister entre un monde étriqué, rétrograde, réactionnaire et un autre libéral, individuel et initiatique qui avait, à l’époque, une qualité majeure : être nouveau, généreux et sans aucune référence à l’expérience qui aurait eu la fâcheuse tendance de restreindre son élan intellectuel.

Une pièce de théâtre à lire, « L’Antichambre » de Jean-Claude Brisville, recommandée par l’Echolatain.

Yves Toussaint

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