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dimanche 29 septembre 2024
Frédéric Mistral, Les Fleurs de glais

Publié la première fois le 23 avril 2020.

Un " glais " des Sboins.




Derrière le Mas du Juge, c’est l’endroit où je suis né, il y avait le long du chemin un fossé qui menait son eau à notre vieux Puits à roue. Cette eau n’était pas profonde, mais elle était claire et riante, et, quand j’étais petit, je ne pouvais m’empêcher, surtout les jours d’été, d’aller jouer le long de sa rive.

Le fossé du Puits à roue ! Ce fut le premier livre où j’appris, en m’amusant, l’histoire naturelle. Il y avait là des poissons, épinoches ou carpillons, qui passaient par bandes et que j’essayais de pêcher dans un sachet de canevas, qui avait servi à mettre des clous et que je suspendais au bout d’un roseau. Il y avait des demoiselles vertes, bleues, noiraudes, que doucement, tout doucement, lorsqu’elles se posaient sur les typhas, je saisissais de mes petits doigts, quand elles ne s’échappaient pas, légères, silencieuses, en faisant frissonner le crêpe de leurs ailes ; il y avait des « notonectes », espèces d’insectes bruns avec le ventre blanc, qui sautillent sur l’eau et puis remuent leurs pattes à la façon des cordonniers qui tirent le ligneul. Ensuite des grenouilles, qui sortaient de la mousse une échine glauque, chamarrée d’or, et qui, en me voyant, lestement faisaient leur plongeon ; des tritons, sorte de salamandres d’eau, qui farfouillaient dans la vase ; et de gros escarbots qui rôdaient dans les flaches et qu’on nommait des « mange-anguilles».

Ajoutez à cela un fouillis de plantes aquatiques, telles que ces « massettes », cotonnées et allongées, qui sont les fleurs du typha ; telles que le nénuphar qui étale, magnifique, sur la nappe de l’eau, ses larges feuilles rondes et son calice blanc ; telles que le « butome » au trochet de fleurs roses, et le pâle narcisse qui se mire dans le ru, et la lentille d’eau aux feuilles minuscules, et la « langue de bœuf » qui fleurit comme un lustre, avec les « yeux de l’Enfant Jésus » qui est le myosotis.

Mais de tout ce monde-là, ce qui m’engageait le plus, c’était la fleur des « glais». C’est une grande plante qui croît au bord des eaux par grosses touffes, avec de longues feuilles cultriformes et de belles fleurs jaunes qui se dressent en l’air comme des hallebardes d’or. Il est à croire même que les fleurs de lis d’or, armes de France et de Provence, qui brillent sur le fond d’azur, n’étaient que des fleurs de glais : « fleur de lis » vient de « fleur d’iris », car le glais est un iris, et l’azur du blason représente bien l’eau où croît le glais.

Toujours est-il, qu’un jour d’été, quelque temps après la moisson, on foulait nos gerbes, et tous les gens du « mas » étaient dans l’aire à travailler. À l’entour des chevaux et des mulets qui piétinaient, ardents, autour de leurs gardiens, il y avait bien vingt hommes qui, les bras retroussés, en cheminant au pas, deux par deux, quatre par quatre, retournaient les épis ou enlevaient la paille avec des fourches de bois. Ce joli travail se faisait gaiement, en dansant au soleil, nu-pieds, sur le grain battu.

Au haut de l’aire, porté par les trois jambes d’une chèvre rustique, formée de trois perches, était suspendu le van. Deux ou trois filles ou femmes jetaient avec des corbeilles dans le cerceau du crible le blé mêlé aux balles ; et le « maître », mon père, vigoureux et de haute taille, remuait le crible au vent, en ramenant ensemble les mauvaises graines au-dessus ; et quand le vent faiblissait, ou que, par intervalles, il cessait de souffler, mon père, avec le crible immobile dans ses mains se retournait vers le vent, et, sérieux, l’œil dans l’espace, comme s’il s’adressait à un dieu ami, il lui disait :

– Allons, souffle, souffle, mignon !

Et le mistral, ma foi, obéissant au patriarche, haletait de nouveau en emportant la poussière ; et le beau blé béni tombait en blonde averse sur le monceau conique qui, à vue d’œil, montait entre les jambes du vanneur.

Le soir venu, ensuite, lorsqu’on avait amoncelé le grain avec la pelle, que les hommes poussiéreux allaient se laver au puits ou tirer de l’eau pour les bêtes, mon père, à grandes enjambées, mesurait le tas de blé et y traçait une croix avec le manche de la pelle en disant : « Que Dieu te croisse !»

Par une belle après-midi de cette saison d’aires, – je portais encore les jupes : j’avais à peine quatre ou cinq ans – après m’être bien roulé, comme font les enfants, sur la paille nouvelle, je m’acheminai donc seul vers le fossé du Puits à roue.

Depuis quelques jours, les belles fleurs de glais commençaient à s’épanouir et les mains me démangeaient d’aller cueillir quelques-uns de ces beaux bouquets d’or.

J’arrive au fossé ; doucement, je descends au bord de l’eau ; j’envoie la main pour attraper les fleurs… Mais, comme elles étaient trop éloignées, je me courbe, je m’allonge, et patatras dedans : je tombe dans l’eau jusqu’au cou.

Je crie. Ma mère accourt ; elle me tire de l’eau, me donne quelques claques, et, devant elle, trempé comme un caneton, me faisant filer vers le Mas :

– Que je t’y voie encore, vaurien, vers le fossé !

– J’allais cueillir des fleurs de glais.

– Oui, va, retournes-y, cueillir tes glais, et encore tes glais. Tu ne sais donc pas qu’il y a un serpent dans les herbes cachés, un gros serpent qui hume les oiseaux et les enfants, vaurien ?

Et elle me déshabilla, me quitta mes petits souliers, mes chaussettes, ma chemisette, et pour faire sécher ma robe trempée et ma chaussure, elle me chaussa mes sabots et me mit ma robe du dimanche, en me disant :

– Au moins, fais attention de ne pas te salir.

Et me voilà dans l’aire ; je fais sur la paille fraîche quelques jolies cabrioles ; j’aperçois un papillon blanc qui voltige dans un chaume. Je cours, je cours après, avec mes cheveux blonds flottant au vent hors de mon béguin… et paf ! me voilà encore vers le fossé du Puits à roue…

Oh ! mes belles fleurs jaunes ! Elles étaient toujours là, fières au milieu de l’eau, me faisant montre d’elles, au point qu’il ne me fut plus possible d’y tenir. Je descends bien doucement, bien doucement sur le talus ; je place mes petons biens ras, bien ras de l’eau ; j’envoie la main, je m’allonge, je m’étire tant que je puis… et patatras ! je me fiche jusqu’au derrière dans la vase.

Aïe ! aïe ! aïe ! Autour de moi, pendant que je regardais les bulles gargouiller et qu’à travers les herbes je croyais entrevoir le gros serpent, j’entendais crier dans l’aire :

– Maîtresse ! courez vite, je crois que le petit est encore tombé à l’eau !

Ma mère accourt, elle me saisit, elle m’arrache tout noir de la boue puante, et la première chose, troussant ma petite robe, vlan ! vlan ! elle m’applique une fessée retentissante.

– Y retourneras-tu, entêté, aux fleurs de glais ? Y retourneras-tu pour te noyer ?…. Une robe toute neuve que voilà perdue, fripe-tout, petit monstre ! qui me feras mourir de transes !

Et, crotté et pleurant, je m’en revins donc au Mas la tête basse, et de nouveau on me dévêtit et on me mit, cette fois, ma robe des jours de fête… Oh ! la galante robe ! Je l’ai encore devant les yeux, avec ses raies de velours noir, pointillée d’or sur fond bleuâtre.

Mais bref, quand j’eus ma belle robe de velours :

– Et maintenant, dis-je à ma mère, que vais-je faire ?

– Va garder les gélines, me dit-elle ; qu’elles n’aillent pas dans l’aire… Et toi, tiens-toi à l’ombre.

Plein de zèle, je vole vers les poules qui rôdaient par les chaumes, becquetant les épis que le râteau avait laissés. Tout en gardant, voici qu’une poulette huppée – n’est-ce pas drôle ? – se met à pourchasser, savez-vous quoi ? une sauterelle, de celles qui ont les ailes rouges et bleues… Et toutes deux, avec moi après, qui voulais voir la sauterelle, de sauter à travers champs, si bien que nous arrivâmes au fossé du Puits à roue !

Et voilà encore les fleurs d’or qui se miraient dans le ruisseau et qui réveillaient mon envie, mais une envie passionnée, délirante, excessive, à me faire oublier mes deux plongeons dans le fossé :

»Oh ! mais, cette fois, me dis-je, va, tu ne tomberas pas !»

Et, descendant le talus, j’entortille à ma main un jonc qui croissait là ; et me penchant sur l’eau avec prudence, j’essaie encore d’atteindre de l’autre main les fleurs de glais… Ah ! malheur, le jonc se casse et va te faire teindre ! Au milieu du fossé, je plonge la tête première.

Je me dresse comme je puis, je crie comme un perdu, tous les gens de l’aire accourent :

– C’est encore ce petit diable qui est tombé dans le fossé. Ta mère, cette fois, enragé polisson, va te fouailler d’importance !

Eh bien ! non ; dans le chemin, je la vis venir, pauvrette, tout en larmes et qui disait :

– Mon Dieu ! je ne veux pas le frapper, car il aurait peut-être un « accident». Mais ce gars, sainte Vierge, n’est pas comme les autres : il ne fait que courir pour ramasser des fleurs ; il perd tous ses jouets en allant dans les blés chercher des bouquets sauvages… Maintenant, pour comble, il va se jeter trois fois, depuis peut-être une heure, dans le fossé du Puits à roue… Ah ! tiens-toi, pauvre mère, morfonds-toi pour l’approprier. Qui lui en tiendrait, des robes ? Et bienheureuse encore – mon Dieu, je vous rends grâce – qu’il ne soit pas noyé !

Et ainsi, tous les deux, nous pleurions le long du fossé. Puis, une fois dans le Mas, m’ayant quitté mon vêtement, la sainte femme m’essuya, nu, de son tablier ; et, de peur d’un effroi, m’ayant fait boire une cuillerée de vermifuge elle me coucha dans ma berce, où, lassé de pleurer, au bout d’un peu je m’endormis.

Et savez-vous ce que je songeai : pardi ! mes fleurs de glais… Dans un beau courant d’eau, qui serpentait autour du Mas, limpide, transparent, azuré comme les eaux de la Fontaine de Vaucluse, je voyais de belles touffes de grands et verts glaïeuls, qui étalaient dans l’air une féerie de fleurs d’or !

Des demoiselles d’eau venaient se poser sur elles avec leurs ailes de soie bleue, et moi je nageais nu dans l’eau riante ; et je cueillais à pleines mains, à jointées, à brassées, les fleurs de lis blondines. Plus j’en cueillais, plus il en surgissait.

Tout à coup, j’entends une voix qui me crie : « Frédéric !»

Je m’éveille et que vois-je ! Une grosse poignée de fleurs de glais couleur d’or qui bondissaient sur ma couchette.

Lui-même, le patriarche, le Maître, mon seigneur père, était allé cueillir les fleurs qui me faisaient envie ; et la Maîtresse, ma mère belle, les avait mises sur mon lit.


Frédéric Mistral, MES ORIGINES, Mémoires et récits (Traduction du provençal)


Marianne Oliviéri-Ramuz, fille de l'écrivain Charles-Ferdinand Ramuz, racontait que le soir elle réclamait très souvent à son père de lui lire cette histoire qu'elle connaissait par cœur.

Une version illustrée.




 

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