« Bologne a le monument aux morts le plus
extraordinaire qui soit. Horrible mais parfait. Au point de vue esthétique,
évidemment zéro et même moins vingt, mais cela ne nous change guère. C’est un
mur, c’est un mur de San-Petronio, si je ne m’abuse, et chaque nom de mort est
illustré par sa photographie et par sa photographie fournie par sa famille.
Nous les avons ainsi tels qu’on les aimait : le gros joufflu à la
moustache en guidon de bicyclette, le beau ténébreux à la cravate à ressort,
tout le pauvre album d’un vin Mariani à l’usage des obscurs. Les larmes me sont
montées aux yeux devant un nom qui avait été illustré par une mère certainement
pas cornélienne, d’une photographie d’un petit blondin en culotte courte et col
marin. Elle voulait le garder et le commémorer à cet âge. Je me suis approché
très près de la photo, à la fois pour cacher mon émotion et me graver les
traits de cet enfant dans la mémoire. C’était encore plus terrible que je ne
pensais. C’était la photo d’un communiant, ébloui. Je n’ai pas du tout envie de
verser dans la sensiblerie. J’aime beaucoup ce monument aux morts, je le dis
carrément. Ces fantômes installés au bord du trottoir dans la partie la plus
passante d’une ville et tels qu’ils étaient dans leur humble vie sont plus émouvants
que tous les grands ordres architecturaux. J’ai beau entrer dans les églises,
les chapelles, les cloîtres les plus célèbres je m’y satisfais de colonnes, de
voûtes pures, mais rien ne provoque ma foi. La perfection détruit l’humain
(qui, lui, n’est pas parfait et a les moustaches en guidon de bicyclette.)
Vézelay, pour mes passions, me laisse froid. J’ai l’habitude d’aimer ou de haïr
des esprits qui ne jouent pas de la harpe. L’orgue de Barbarie de Fualdès est
beaucoup plus puissant. Se guinder, représenter les morts de la guerre serrés
sur le cœur, même de marbre de la
patrie et les représenter casqués et laurés, c’est les trahir ; disons
simplement c’est ne pas les aimer.
C’était ce bon gros tonnelier joufflu et qui l’est resté en mourant ;
c’était cet employé de banque, ce clerc de notaire, ce professeur constipé, à
col cassé et qui est mort constipé malgré une baïonnette ennemie dans le
ventre. Il est très bon que les voyageurs du tramway, des autos, les passants
du trottoir ne l’oublient pas.
À côté de cet admirable monument aux morts, il y a
un kiosque à journaux. Cet imprudence n’est possible qu’au pays de Machiavel.
Je ne connais, en France, qu’un seul monument
commémoratif qui puisse être mis en parallèle, pour l’émotion, avec celui de
Bologne. C’est celui de la Bédoule, petit village près de Marseille ;
encore que, fort paradoxalement, le monument français ait un tantinet d’emphase
romaine. Il est cependant invisible de la route qui passe à trois mètres de
lui. C’est, sur le talus, un simple bloc de pierre sur lequel est posé un livre
ouvert (en pierre également) où sont inscrits les noms. Le trait de génie est
d’abord d’avoir placé ce monument dans un cagnard où il fait bon prendre le
soleil, et surtout, de l’avoir complété d’un banc qui est devant la pierre,
comme un fauteuil serait devant une table de cabinet qui supporterait par
exemple un gros volume du Dictionnaire
de Bayle. On a l’air de dire : « Tenez, assoyez-vous, consultez,
voilà nos raisons de croire ou de douter. » C’est d’un très joli
sentiment. Si l’on s’assoit sur le banc (ce que j’ai fait) on a devant soi, au
premier plan, le nom des morts ; au second plan, le paysage qui hantait
leur nostalgie et a hanté sans doute leur agonie. Ce n’est pas précisément, à
cet endroit, un beau paysage, au contraire. De là, une émotion intense que ne
pourraient faire surgir de ces noms le pont du Gard, le Colisée ou l’abbaye du
Thoronet. "
Flumet-Saint-Nicolas-la-Chapelle
Cérémonies du 8 mai.
Les municipalités et les
associations d'anciens combattants invitent la population à participer
aux cérémonies commémoratives qui se dérouleront le 8 mai, à 10 h 30 à
saint-Nicolas-la-Chapelle et à 11 h 30 à Flumet.
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