« L’Antichambre »
De
Jean-Claude BRISVILLE.
Édition BABEL
Photographie glanée, Danièle Lebrun (Marie du Deffant) et Jean-Claude Bouillon (Le Président Hénault)
Boudoirs,
appartements privés et antichambres, ont toujours été des lieux où
l’histoire s’est élevée. L’intimité est à chaque fois
choisie pour donner un sens introspectif à l’histoire. Les faits
anodins d’une relation au gré d’un quotidien examiné à la
loupe, parviennent à hisser les secrets d’alcôves au rang des
grands dénouements de sociétés. L’observation intérieure
dissèque idées et principes quand, une fois dépassés, les
intrigues conduisent à l’abandon de l’ancien monde pour le
nouveau. L’auteur Jean-Claude Brisville est coutumier du fait :
après « Le souper » et « L’entretien avec
Monsieur Descartes », le classicisme d’une époque se livre
une fois de plus à la bataille des anciens contre les modernes dans
la pièce « l’Antichambre ».
En
1750, à Paris, à l’aune de la Révolution, Madame du Deffant
reçoit quotidiennement les têtes d’affiches de l’époque des
« Lumières ». La monarchie de l’Ancien Régime
perpétue une vieille tradition, conduite par des femmes de la
noblesse tenant de mains de maître de prestigieux salons d’où
fréquentent des personnages influents, en mal de notoriété. Ici,
Marie du Deffant et son ami le Président Hénault reçoivent les
philosophes de leur temps, Voltaire, D'Alembert, Diderot, portés
par le souffle d’idées nouvelles. Marie, de retour à Paris,
revient de la campagne suivie de sa « bâtarde » de nièce,
Julie de Lespinasse, détournée d’une existence monacale et
destinée au statut de liseuse sous prétexte de la vue déclinante
de sa tante. La confrontation de l’existence austère de Julie aux
idées libérales de la société des « Lumières »,
pousse la jeune femme à détrôner son ainée des rênes du Salon.
Pour Marie, être éclairée par les nouvelles idées de son temps
est juste une satisfaction intellectuelle, privilège de la classe
dirigeante. Pour autant, lorsque la connaissance se veut
universelle, elle émancipe et constitue une opposition tenace au
conservatisme brutal de la monarchie.
Chez
Marie du Deffant, les philosophes libèrent Julie qui prend en main
sa destinée et celle du salon. Les échanges, jusque-là précieux
et raffinés, entre la vielle garde monarchique et l’ambition
d’émancipation de la jeune femme, laissent place aux invectives
acérées. Aucun répit n’est permit, les personnages s’affrontent
et confrontent leurs idées ; l’une aux valeurs
traditionnelles caparaçonnées par le joug de l’ordre naturel du
monde, l’autre par la libéralisation des esprits et du corps que
constitue l’accès à la connaissance. Marie la savante, souhaite
un monde qui conserve et distribue le savoir à la classe dominante ;
Julie la libérale, désire un monde libre où l’on enseigne le
droit de savoir, de dire et de penser pour tous. Forcenées, aucune
rémission n’est possible quand la jalousie de Marie envers sa
jeune et pétillante nièce prend le dessus. L’influence de Julie
envers les illustres invités du salon gagne du terrain lorsque le
Président Henault, seul arbitre de la joute, prend parti pour la
jeune femme en la demandant en mariage. La coupe est pleine pour
Marie du Deffant qui, déchue de son trône, laissera définitivement
sa place ; la Révolution est en marche.
Le
texte, littérairement de qualité, est tiré au cordeau, ciselé. Il
fait vivre par l’orgueil le besoin d’exister entre un monde
étriqué, rétrograde, réactionnaire et un autre libéral,
individuel et initiatique qui avait, à l’époque, une qualité
majeure : être nouveau, généreux et sans aucune référence à
l’expérience qui aurait eu la fâcheuse tendance de restreindre
son élan intellectuel.
Une
pièce de théâtre à lire, « L’Antichambre » de
Jean-Claude Brisville, recommandée par l’Echolatain.
Yves
Toussaint
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